Si Saint-Émilion séduit le monde entier par la douceur de ses vins, c’est en grande partie grâce à la place centrale qu'y occupe le merlot. Ce cépage à maturité précoce, emblématique du Bordelais, couvre aujourd’hui près de 60 % de la surface plantée dans la région (source : CIVB). À Saint-Émilion, sa proportion est même supérieure, où il atteint fréquemment 60 à 80 % dans de nombreux assemblages, selon les propriétés et les millésimes (source : Union des Syndicats de Saint-Émilion).
Le merlot trouve dans les sols argilo-calcaires et argilo-sableux de la rive droite l’environnement idéal pour s’épanouir. Les plateaux calcaires de Saint-Émilion retiennent l’humidité nécessaire à son développement et lui confèrent ce style velouté qu’on lui associe volontiers. Son histoire se confond avec celle de la région : ce cépage, mentionné dès le 18e siècle, s’est peu à peu imposé comme le socle aromatique de l’appellation, éclipsant en partie le cabernet franc autrefois roi sur ces terres (encyclopédie du vin, Jancis Robinson).
À la dégustation, le merlot dans sa jeunesse libère une palette généreuse de fruits noirs (prune, mûre, cerise) que vient nimber une texture ample et veloutée. Quand il entre majoritairement dans la composition d'un vin, il apporte :
Le merlot présente aussi une certaine polyvalence, s’adaptant aussi bien à des cuvaisons longues (pour plus de structure) qu’à des vinifications douces visant la fraîcheur et le fruit.
Contrairement à la rive gauche, où le cabernet sauvignon règne en maître, la singularité de Saint-Émilion tient dans son association prédominante merlot / cabernet franc. La part de merlot peut varier :
L’assemblage vise avant tout le juste équilibre : la souplesse, la profondeur et le charnu du merlot doivent être contrebalancés par la structure tannique du cabernet franc (et, plus rarement, du cabernet sauvignon) et par une acidité qui donne de la colonne vertébrale au vin.
C’est ce jeu subtil qui permet d’offrir des vins à la fois accessibles jeunes et capables de vieillir magistralement. Le domaine du Château Canon, par exemple, célèbre pour ses merlots élégants (65 % en moyenne) assemblés avec le cabernet franc, multiplie les notes de fraîcheur mentholée et d’épices douces après dix à quinze ans de garde (source : verticales de dégustation Vinous & Decanter).
Sur les près de 5 400 hectares de l’appellation (source : INAO), la mosaïque des sols favorise une grande diversité d’expressions du merlot :
Cette variété de contextes pédologiques explique que le même cépage puisse générer des expressions très nuancées d’un domaine à l’autre. Un millésime très solaire, comme 2010 ou 2015, révélera par exemple toute l’opulence du merlot en côte argilo-calcaire, quand 2021, plus frais, mettra en avant la nervosité et la fraîcheur de fruits.
Le dernier classement (2022) des Grands Crus Classés de Saint-Émilion a confirmé la place prépondérante du merlot dans les vins plébiscités par les critiques :
Cette souplesse dans la composition permet aux vignerons d’affiner leur style maison, donnant à Saint-Émilion une rare richesse de profils, tout en restant fidèle à ce cœur Merlot si fédérateur.
La superbe maturité du merlot fait aussi sa vulnérabilité : face au réchauffement climatique, les rendements en acidité diminuent, et le risque d’alcool élevé ou de précocité excessive inquiète certains producteurs (voir : rapport CIVB, 2023). Pour y remédier, certaines propriétés allongent les périodes d’attente avant les vendanges, cherchent la parcelle la plus tardive, voire reviennent à des vinifications moins extraites pour préserver l’équilibre.
Plusieurs domaines expérimentent également avec de faibles pourcentages de cabernet sauvignon ou l’introduction de cépages « seconds couteaux » (malbec, en réapparition discrète), renforçant la structure tout en valorisant la rondeur du merlot. L’avenir du vignoble se jouera ici, dans cette capacité à associer tradition et innovation, sans jamais gommer l’âme gourmande, veloutée et charmeuse du merlot.
À Saint-Émilion, la palette des interprétations du merlot est inépuisable. Petite sélection non exhaustive :
Tantôt orchestré pour la puissance, tantôt pour l’élégance, le merlot de Saint-Émilion se montre le fil rouge reliant les ardeurs de la jeunesse à la profondeur du temps.
Le merlot, en maître d’œuvre discret, offre à Saint-Émilion ce visage à la fois généreux et racé. Vignerons, maîtres de chai et amoureux du vin scrutent chaque année les subtilités d’assemblage pour magnifier ce cépage sans jamais le laisser dominer ni s’effacer. La magie réside dans la nuance, et la mosaïque de terroirs invite à de multiples lectures.
À l’heure où la planète vin cherche de nouveaux repères, Saint-Émilion rappelle que la tradition du merlot – alliée à une recherche permanente de l’équilibre et de la fraîcheur – demeure une école de patience et d’innovation maîtrisée. Le merlot est une invitation à explorer sans fin les facettes d’une appellation qui n’a jamais sacrifié la complexité à la facilité.
Pour approfondir :