Au cœur des assemblages : les cépages phares des Côtes de Bordeaux

16 septembre 2025

Un patchwork d’appellations et de terroirs

Le vignoble des Côtes de Bordeaux s’étend sur environ 12 000 hectares, soit près de 10 % du vignoble bordelais, selon les chiffres officiels du Conseil des Vins de Bordeaux (CIVB). Les quatre AOC principales – Blaye, Cadillac, Castillon, Francs – possèdent chacune leur topographie, leur climat, et leurs traditions d’assemblage.

  • Blaye Côtes de Bordeaux : à dominante argilo-calcaire, la plus septentrionale.
  • Cadillac Côtes de Bordeaux : sur la rive droite de la Garonne, climat plus chaud.
  • Castillon Côtes de Bordeaux : prolongement des coteaux saint-émilionnais.
  • Francs Côtes de Bordeaux : la plus discrète, caractérisée par de petites propriétés et des sols calcaires.

Cette diversité géologique et climatique façonne les choix variétaux et, partant, les profils d’assemblage.

L’étoile indétrônable : le Merlot

Dans l’ADN des Côtes de Bordeaux, le Merlot règne sans partage. Implanté massivement dès le XIXe siècle pour sa précocité et sa capacité à mûrir pleinement même sur les coteaux les plus frais, il représente aujourd’hui environ 75 à 85 % de l’encépagement rouge selon l’AOC (source : CIVB, INAO).

Le Merlot s’exprime ici dans toute sa rondeur : charmeur, fruité, sur le registre de la prune mûre, de la cerise noire, et avec ce moelleux de tannins qui charme rapidement le néophyte tout en donnant de la structure. Sa palette séduit autant les petits producteurs qui favorisent le vin souple à boire jeune, que certaines figures comme Château Puygueraud (Francs) ou Château d’Aiguilhe (Castillon) qui en magnifient la profondeur et la longévité.

Des seconds rôles essentiels : Cabernet Franc et Cabernet Sauvignon

Si le Merlot s’octroie la part du roi, il ne façonne pas seul les vins des Côtes. Les deux Cabernets, à doses variables, sont les artisans des nuances et de la structure :

  • Cabernet Franc – entre 10 et 25% selon les crus : Il apporte fraîcheur, éclat aromatique (poivron, framboise, violette), complexité et tenue en bouche. Sur les terroirs argilo-calcaires de Castillon ou Francs, il sert souvent de colonne vertébrale à l’assemblage et vieillit admirablement. De nombreux domaines de Francs, tels que Château La Prade, le travaillent avec élégance dans des cuvées très prisées en restauration gastronomique.
  • Cabernet Sauvignon – plus limité ici qu’en Médoc (5 à 15 % en moyenne) : Il joue le rôle du filigrane, donnant couleur, charpente et notes d’épices. Sur les graviers chauds de Cadillac ou dans les meilleures expositions, il participe à des vins de garde, taillés pour la décennie et plus. Château Peybonhomme-les-Tours (Blaye), par exemple, en tire la quintessence.

Il n’est pas rare que certains vignobles, notamment à Blaye, optent pour des cuvées « mono-cépages » pour mettre en lumière leur terroir : ainsi, Château Mercier vinifie sur certaines années un 100% Cabernet Sauvignon d’une rare intensité.

Des acteurs méconnus : Malbec, Petit Verdot et plus encore

Les assemblages traditionnels des Côtes ne s’arrêtent pas aux « trois Bordeaux » classiques. Le Malbec (Côt) n’a jamais totalement disparu : il couvre aujourd’hui moins de 3 % du vignoble mais connaît un regain d’intérêt auprès de domaines en quête d’identité ou de complexité supplémentaire. Sa robe pourpre, ses arômes de fruits noirs macérés et sa trame tannique trouvent un écho dans des climats solaires, notamment à Cadillac ou Castillon.

Le Petit Verdot, bien plus anecdotique (<1 %), s’invite parfois à la table pour donner du relief, notamment dans des cuvées confidentielles ou des essais de viticulture bio. Quelques fidèles ressuscitent même des variétés anciennes telles que le Carménère ou le Saint-Macaire, mais ceux-ci restent encore des curiosités.

Assemblages et styles : influences du terroir et du vigneron

La tradition de l’assemblage bordelais prend dans les Côtes des notes de liberté plus marquées qu’ailleurs. Sur ces parcelles morcelées, à taille humaine (moins de 10 hectares en moyenne), la prise de risque et l’expérimentation sont monnaie courante. C’est un terrain d’expression où la proportion de chaque cépage s’adapte :

  • À Castillon, le Merlot s’impose (environ 75-80 %) mais laisse place à du Cabernet Franc sur les plateaux argilo-calcaires, proche du style Saint-Émilion (source : castillon-cotesdebordeaux.com).
  • À Blaye, la dominante Merlot est plus affirmée (jusqu’à 90 %), le Cabernet Sauvignon étant réservé aux parcelles les plus chaudes.
  • Dans les Francs, l’équilibre varie : certains domaines osent jusqu’à 40 % de Cabernet Franc dans l’assemblage, profitant des vignes âgées et d’une altitude propice à la maturation lente.
  • Le Malbec est davantage vinifié en mono-cépage pour offrir des cuvées originales ou en appoint dans les millésimes chauds.

Le style des vins reflète la main du vigneron : certains optent pour la pureté de fruit, évitant l’élevage sous bois pour transmettre la lecture du millésime ; d’autres préfèrent jouer la carte du boisé noble, pour valoriser la garde et la complexité aromatique, comme au Château de Pitray (Castillon) ou au Château Suau (Cadillac).

Les vins blancs : une histoire de Sémillon et de Sauvignon

Si le rouge règne sur ces coteaux, il serait dommage d’ignorer la mosaïque de blancs secs ou moelleux nés des mêmes terroirs. Blaye, en particulier, produit chaque année plus d’un million de bouteilles de blanc (source : syndicat des vins de Blaye). Ici, l’assemblage repose majoritairement sur le Sauvignon blanc (70 % en moyenne), allié au Sémillon puis à la Muscadelle, pour donner naissance à des vins frais, tendus, floraux ou fruités, prêts à égayer les plateaux de fruits de mer de l’estuaire.

Zoom sur quelques domaines et assemblages emblématiques

  • Château Puygueraud (Francs) : Merlot (83 %), Cabernet Franc (15 %), Malbec (2 %). Ce trio confère profondeur, tension et un style d’une grande pureté (source : chateau-puygueraud.com).
  • Château de La Vieille Chapelle (Fronsac/Blaye) : Cuvée Les Amans, 100 % Merlot, vinifié sans sulfites pour exprimer le côté fruité et juteux du cépage, avec une approche naturelle.
  • Château Peybonhomme-les-Tours (Blaye) : Assemblage typique de 75 % Merlot, 10 % Cabernet Sauvignon, 10 % Cabernet Franc, 5 % Malbec – équilibre parfait entre rondeur, aromatique et structure.
  • Château Suau (Cadillac) : Assemblage plus audacieux, avec également du Petit Verdot, pour des vins puissants et aromatiques.

Cultiver la diversité, affirmer son style

Les Côtes de Bordeaux offrent ainsi un miroir étonnant de la diversité viticole bordelaise : la main du vigneron s’exprime pleinement dans la sélection et la part de chaque cépage, en lien avec le millésime, le sol, et la visée stylistique. Si le Merlot règne en maître, la montée en puissance du Cabernet Franc, les retours stylisés du Malbec et l’avènement de blancs racés témoignent d’un vignoble en pleine redéfinition. Les assemblages, loin d’obéir à une règle figée, se façonnent chaque année comme un nouveau chapitre de ce paysage mouvant : un art subtil, où les cépages composent la partition d’une identité en perpétuel renouvellement.

En savoir plus à ce sujet :