Côtes de Bordeaux : Terroirs entre falaises, vallons et rivières, secrets d’un style pluriel

19 septembre 2025

L’archipel des Côtes : unité administrative, diversité géologique

Depuis la création de l’appellation “Côtes de Bordeaux” (AOC) en 2009, cinq bastions viticoles – Blaye, Cadillac, Castillon, Francs, Sainte-Foy – unissent leurs forces sans gommer la vigueur de leur identité propre. À rebours des vastes plaines homogènes du Médoc, les Côtes vivent à la verticale : réseaux de coteaux, failles, pentes exposées, mosaïque de parcelles minuscules, parfois travaillées encore à la main.

Leurs sous-sols juxtaposent toutes les grandes familles géologiques du Bordelais :

  • Blaye : dominé par des calcaires à astéries, marnes, argiles, véritables poches d’eau parfaite pour l’enracinement des ceps.
  • Cadillac : surplombe la Garonne, avec des sols argilo-graveleux offrant profondeur et structure.
  • Castillon : prolonge, terroir pour terroir, la rive droite de Saint-Émilion, entre molasses et argiles complexes.
  • Francs : le secret le mieux gardé, un plateau calcaire à l’équilibre rare.
  • Sainte-Foy : patchwork d’argiles, de calcaires et de limons frais, cerné d’une intense biodiversité.
(Source : Conseil des Vins des Côtes de Bordeaux)

Climat et exposition : atouts viticoles et défis

L’influence océanique façonne la personnalité de chaque secteur. Dans les zones les plus proches de l’estuaire (Blaye, Cadillac), les brumes matinales côtoient des après-midis ensoleillés, favorisant un mûrissement long et progressif, essentiel à l’équilibre sucre-acidité. Les gradients altitudinaux (jusqu’à 110 mètres à Blaye, 120 mètres à Francs) créent des conditions de drainage et d’exposition propices à la concentration naturelle.

  • Entre 2010 et 2020, les Côtes de Bordeaux ont connu un réchauffement moyen de 1°C, accélérant la recherche de maturité optimale en altitude (source : INRAE).
  • Ces expositions protègent aussi partiellement de la menace systémique du gel de printemps.
  • L’orientation nord-sud des parcelles à Castillon ou Sainte-Foy limite les risques d’excès de chaleur et préserve la fraîcheur des arômes.

Sur ces “montagnes douces”, le vignoble adopte une diversité d’implantations digne des grandes appellations françaises, à charge pour chaque vigneron de moduler vendanges et vinifications de manière ultra-précise.

Mosaïque de cépages, reflet de terroirs pluriels

Si le Merlot règne en maître (près de 75% de l’encépagement, source : CIVB), il se nuance ici différemment selon la nature des sols :

  • Sur calcaires : fraîcheur juteuse, tanins crayeux.
  • Sur argiles : ampleur et générosité.
  • Sur graves : élégance et notes épicées.

La singularité des Côtes tient aussi à la remarquable diversité de cépages associés, avec parfois de vieilles vignes oubliées :

  • Cabernet Franc : aime les sols calcaires et apporte nerf et tension (notamment à Francs et Castillon).
  • Malbec : encore majoritaire avant le phylloxera, il refait surface dans les assemblages, surtout à Blaye et Castillon, conférant couleur soutenue et accents sauvages.
  • Sauvignon blanc et Sémillon : dans les zones de blancs, sur marnes et graves, donnent de superbes vins à la fois vifs et enveloppants.

Cette diversité est entretenue par la présence de plus de 150 propriétés cultivant selon au moins deux cépages principaux, avec une surface moyenne d’exploitation de 17 hectares, soit bien moins que les grandes propriétés médocaines (source : Agreste/CIVB).

Vinification et élevage : le geste au service du terroir

La philosophie de vinification sur les Côtes de Bordeaux suit une tendance : exprimer le fruit, révéler la minéralité, sans la masquer derrière le bois neuf. Les vins rouges de Blaye privilégient les macérations douces pour préserver la fraîcheur et les arômes primaires : fruits rouges, violette, touche mentholée. À Castillon ou Francs, les extractions sont plus poussées, tirant sur la cerise noire et la réglisse, tannins denses, presque crayeux.

L’élevage en barriques – souvent plus court et moins ostentatoire que dans les grands châteaux du Médoc – tend à préserver le dialogue entre le raisin et son sol. Une étude menée par le Bureau National Interprofessionnel du Cognac et des Côtes de Bordeaux (2021) a montré que moins de 30% des propriétés utilisent exclusivement des fûts neufs.

Portraits de domaines : signatures du lieu

  • Domaine La Mothe du Barry (Côtes de Bordeaux – Cadillac) : Propriété familiale certifiée bio, La Mothe du Barry cultive ses merlots sur argilo-graves, vins aériens, mûrs, mais dotés d'une belle énergie minérale. Le “Baby Love” 2021 en est la démonstration, salué pour sa pureté par La Revue du Vin de France.
  • Château Puygueraud (Francs Côtes de Bordeaux) : Mené par Nicolas Thienpont, ce domaine illustre la résilience du plateau calcaire. Les cabernets francs sur sols profonds livrent des crus à la fraîcheur et à la tension salines, rivalisant parfois avec Saint-Émilion voisin (note 92/100 sur Wine Advocate pour 2020).
  • Château La Grave (Blaye Côtes de Bordeaux) : Sur le calcaire à astéries, le malbec réintroduit donne une robe violacée spectaculaire, un profil presque floral et une grande longueur en bouche, loin des clichés fruités habituels.
  • Château d’Aiguilhe (Castillon Côtes de Bordeaux) : Le terroir phare, croupes argilo-calcaires exposées sud, donne naissance à des vins charnus, puissants mais d’une fraîcheur inattendue, très recherchés dans les grands millésimes.

L’évolution, entre renouveau biologique et climat changeant

La transition écologique joue un rôle croissant dans l’expressivité des Côtes de Bordeaux :

  • Déjà 20% du vignoble certifié bio ou en conversion (2022, source : CIVB), taux trois fois plus élevé que la moyenne bordelaise.
  • Expérimentation de cépages résistants à la sécheresse sur les terres plus chaudes (Arinarnoa, Touriga Nacional, …).
  • Retour des engrais verts, haies bocagères et pratiques agroforestières qui enrichissent la vie du sol et favorisent l’émergence de nouvelles expressions aromatiques.

Les vignerons adaptent leur pratique : vendanges précoces sur les pentes les plus exposées, travail nocturne pour éviter les coups de chaleur, micro-parcellaires poussés grâce à la cartographie numérique.

Pourquoi les amateurs s’y retrouveront-ils ?

  • Diversité des profils : du fruité facile du merlot sur limons, aux cuvées racées et minérales.
  • Rapport qualité-prix : la moyenne des prix propriété reste sous les 15 € (source : Jean-Marc Quarin, 2023).
  • Cuvées singulières : production de micro-cuvées proches du “vin de garage”, notamment à Francs et Castillon.
  • Accessibilité : ouverture des domaines, tourisme viticole de proximité, accueil œnotouristique enthousiaste.

Quelques noms à suivre : Château Puygueraud, Château La Rose Bellevue, Château Les Moines, Domaine du Chalet Pouilly, Château Clos Fontaine… Tous n’attendent qu’à raconter leur histoire de terroir.

L’avenir : vers une cartographie sensorielle des Côtes de Bordeaux

La richesse des terroirs des Côtes de Bordeaux est leur plus grande force. Elle explique pourquoi leurs vins, trop longtemps relégués à la marge au profit des “grandes” appellations, séduisent désormais les sommeliers et les critiques internationaux. Les classements eux-mêmes évoluent : en 2023, Wine Enthusiast intégrait pour la première fois trois crus de Castillon dans son “Top 100” mondial, symbole d’un changement de regard.

Au-delà des classements et des notes, le vin des Côtes invite à un dialogue vivant : le récit du sol, du vent, du choix de l’homme. Sur ces versants entre vignes sauvages et pierres dorées, le style se façonne moins selon des dogmes que par la recherche d’un équilibre, d’une émotion juste – celle des paysages complexes où vibre la polyphonie de Bordeaux.

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