Côtes de Bordeaux : mosaïque de terroirs et destins partagés

13 septembre 2025

Panorama : naissance d’une appellation plurielle

Au cœur du Bordelais, les « Côtes de Bordeaux » sont à la fois l’affirmation d’une identité collective et le récit de territoires singuliers. Née officielle en 2009, l’appellation résulte de la fusion de plusieurs dénominations historiques : Blaye, Cadillac, Castillon, Francs, rejoints en 2016 par Sainte-Foy. Chacune possède ses racines, ses influences et ses ambitions. Réunies sous ce pavillon, elles offrent l'une des lectures les plus dynamiques de la région bordelaise aujourd’hui, tant en matière de terroir que de styles de vins.

Les cinq visages des Côtes de Bordeaux

Regroupant cinq territoires disséminés sur la rive droite de la Garonne et de la Dordogne, l’appellation trace un arc du nord au sud-est de Bordeaux. Plutôt que de niveler les différences, ce rassemblement valorise une diversité féconde, visible tant dans la géographie que dans l'esprit vigneron.

1. Blaye Côtes de Bordeaux : l’audace atlantique

Située face au Médoc, sur la rive droite de l’estuaire de la Gironde, Blaye est la plus vaste et la plus productive des côtes. Plus de 6000 hectares (source : Conseil des Vins de Blaye) sont cultivés sur des paysages de collines calcaires, argilo-graveleuses et sableuses. Un terrain très contrasté au sein duquel domine le Merlot (près de 90% de l’encépagement rouge), accompagné du Cabernet Franc et du Cabernet Sauvignon pour des vins souples, fruités, souvent vifs dans leur jeunesse.

  • Superficie : ~6 000 ha (rouge et blanc)
  • Communes : 41 villages, de Blaye à Saint-Trojan.
  • Vins blancs produits : Sauvignon, Sémillon et Muscadelle
  • Climat : plus maritime, sous influence directe de la Gironde

Parmi les domaines emblématiques : Château Les Maubats, château Barbé ou Château Gigault, reconnu pour « La cuvée Viva », un vin aux notes de fruits noirs et à la structure délicate.

2. Cadillac Côtes de Bordeaux : le balcon sur la Garonne

Au sud-est de Bordeaux, cette aire couvre quelque 120 communes le long de la Garonne, de la ville de Cadillac à Loupiac. Ici, les vignes s’accrochent à des coteaux abrupts, souvent très bien exposés. Les sols, larges nuances de calcaires à astéries et d’argiles rouges, donnent naissance à des rouges puissants, structurés, marqués par leur potentiel de garde — mais aussi à quelques blancs moelleux sous une autre appellation locale.

  • Superficie : ~2 000 ha en rouge
  • Encépagement : Merlot dominant, mais Cabernet Sauvignon très qualitatif
  • Climat : doux et tempéré, influence de la Garonne

Quelques références se détachent, du Château Réaut (racheté par les vignerons eux-mêmes et symbole de l'entreprenariat local) au Château de Marsan, réputé pour ses méthodes innovantes et sa vision durable du vignoble.

3. Castillon Côtes de Bordeaux : l’écume du Saint-Émilionnais

À l’est de Saint-Émilion, Castillon incarne l’un des plus beaux prolongements de ce terroir d’élite. Plus de 2300 hectares forment une succession de collines calcaires et argileuses, dans un décor où le vin se vit aussi comme une tradition rurale ancrée. Les vins rouges, puissants et profonds, bénéficient ici d’une attention particulière à la qualité : agriculture biologique et biodynamie progressent rapidement.

  • Superficie : ~2 300 ha
  • Encépagement : 70% Merlot, mais présence notable de Cabernet Franc
  • Production : rouges uniquement

Castillon cultive l’esprit de famille et la solidarité vigneronne. Château d’Aiguilhe (Stephan von Neipperg), Château Côte Montpezat ou encore Château La Brande sont des balises de la montée en gamme des vins locaux.

4. Francs Côtes de Bordeaux : la discrète élégance

Moins étendue, avec seulement 500 hectares (source : Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux - CIVB), cette enclave campagnarde séduit par sa pluralité : on y produit rouges, blancs secs et moelleux. Les sols mêlent argiles et calcaires, tout comme les encépagements. C’est le domaine de propriétés familiales, souvent minuscules, qui bâtissent le paysage patrimonial du Bordelais.

  • Superficie : ~500 ha (moins de 2% de l'ensemble des Côtes)
  • Nombre de viticulteurs : moins de 50
  • Vins rares : production confidentielle

Point d’orgue local : Château La Prade (Nicolas Thienpont), fer de lance d’une viticulture exigeante, ou encore le Château Marsau, reconnu pour la finesse et la longévité de ses vins monovariétaux.

5. Sainte-Foy Côtes de Bordeaux : la poésie retrouvée du Sud-Est

Cette aire d’à peine 300 hectares produit des vins entre Bergerac et Castillon, sur un plateau calcaire suspendu et des pentes suaves. Son rattachement tardif à l’appellation (2016) souligne une volonté de synergie, face à la concurrence croissante des vins du Sud-Ouest. On y trouve des blancs ciselés, quelques rosés, mais avant tout des rouges élégants, fruités, au style très libre.

  • Superficie : ~300 ha
  • Commune phare : Sainte-Foy-la-Grande
  • Part belle au bio : près de 40% des surfaces en conversion ou certifiées (source : FranceAgriMer)

Un exemple marquant : Château Grand Français, pionnier du bio dès les années 2000, ou le Château Carbonneau, domaine familial qui allie gîte, élevage et art de vivre, signature d’une nouvelle ruralité bordelaise.

Pourquoi avoir uni ces différents territoires ?

La création de l’AOC Côtes de Bordeaux répond autant à des logiques commerciales qu’à une véritable recherche identitaire. Face à une mondialisation galopante, les petites appellations côtières souffraient d’un manque de notoriété et d’une difficulté de positionnement sur les marchés export. Selon le CIVB, près de 50% de la production part aujourd’hui à l’export.

  • Mutualisation des actions de promotion
  • Amélioration de la reconnaissance visuelle (même mention de l’appellation sur les étiquettes)
  • Montée en gamme collective
  • Meilleure gestion des contraintes environnementales

L’union fait la force. Pourtant, chaque terroir veille à préserver ses spécificités à travers les mentions complémentaires apposées sur les bouteilles (par exemple : Blaye – Côtes de Bordeaux).

Portraits et anecdotes : domaines et engagements

Le paysage des Côtes de Bordeaux est marqué par la vitalité de ses châteaux et le dynamisme de ses collectifs viticoles. De nombreux domaines expérimentent le sans-soufre ou la vinification parcellaire, à l’image du Château Laulan à Blaye ou du Château Lestrille à Sainte-Foy. À Castillon, la création de l’association « Castillon : Terres de Vins, Terres de Vies » impulse depuis 2010 une transition forte vers l’agroécologie, avec près de 20% du vignoble déjà certifié bio ou en conversion (données Castillon Côtes de Bordeaux).

Cette dynamique se retrouve aussi dans l’ouverture à l’œnotourisme, avec des parcours balisés et des dégustations pédagogiques, qui permettent d’explorer tout à la fois la « culture de la côte » et la pluralité des horizons.

Côtes de Bordeaux : entre unité et diversité

L’appellation Côtes de Bordeaux offre aujourd’hui un pont entre tradition et modernité. Elle se distingue par sa capacité à faire dialoguer diversité géographique et volonté d’émulation collective. Les cinq aires réunies ne se fondent pas dans une uniformité, mais assument leurs contrastes, invitant chaque amateur – qu’il soit néophyte ou passionné – à une exploration sensorielle du Bordelais hors des sentiers battus.

S’il fallait retenir un message, c’est que les vins « des côtes » ne sont pas une alternative discrète face aux noms plus illustres : ils s’affirment comme une promesse de découverte, ancrée dans la réalité de paysages façonnés par la main patiente des vignerons et la lenteur des saisons.

Sources : Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux, Conseil des Vins de Blaye, FranceAgriMer, site officiel Castillon Côtes de Bordeaux.

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