Regards croisés sur la notoriété des Côtes de Bordeaux : redéfinir le paysage des grands vins bordelais

25 septembre 2025

Le poids de l’histoire et des classements : un héritage à double tranchant

Les grandes appellations bordelaises – Pauillac, Margaux, Saint-Émilion, Pessac-Léognan, entre autres – bénéficient d’une reconnaissance mondiale solidifiée dès le XIX siècle, autour du fameux Classement de 1855 et de la réputation forgée par les négociants et critiques (voir Bordeaux.com). À l’inverse, les Côtes de Bordeaux, rassemblant aujourd’hui Blaye, Cadillac, Castillon et Francs depuis 2009, n’ont jamais intégré ces dispositifs de hiérarchisation prestigieux. Cette absence de hiérarchisation officielle a longtemps entravé leur visibilité, pourtant, elle devient aujourd’hui, pour beaucoup de domaines, un espace de liberté et de créativité (source : CIVB, « Les Côtes de Bordeaux fêtent leurs 10 ans », 2019).

  • Chiffre-clé : Le Classement de 1855 ne recense aucun Cru des actuelles Côtes, contrairement à 61 Grands Crus du Médoc et 26 de Sauternes-Barsac.
  • Superficie : Les Côtes de Bordeaux totalisent aujourd’hui près de 12 000 ha, positionnant ce regroupement parmi les cinq plus vastes du vignoble bordelais (CIVB, chiffres 2023).

Portraits et dynamiques de la notoriété : entre innovation tranquille et retour aux origines

Ceux qui font battre le cœur des Côtes incarnent une nouvelle génération de vignerons, à la fois émancipés des dogmes historiques et fidèles à l’esprit paysan. Sur ces côteaux argilo-calcaires – filigrane de Castillon, belvédère de Francs ou côteaux de Blaye – la quête d’authenticité prime ; nombreux sont ceux qui choisissent la viticulture biologique (près de 18 % des surfaces cultivées contre 12 % en moyenne à Bordeaux, source Vitisphère 2023), l’agroforesterie ou les levures indigènes.

  • Château Puygueraud (Francs Côtes de Bordeaux) : Le domaine de la famille Thienpont, pionnier dès les années 1980, incarne la transition vers une vision premium des Côtes, conjuguant terroirs exigeants et vinifications de précision.
  • Château Peybonhomme-les-Tours (Blaye Côtes de Bordeaux) : Jean-Luc Hubert et ses enfants illustrent la réussite d’un modèle biodynamique rayonnant sur l’export et reconnu pour ses rouges comme ses blancs de longue garde.
  • Château Le Rey (Castillon Côtes de Bordeaux) : Sous la houlette de Jérôme Aguirre, l’accent mis sur le respect des sols et la fraîcheur d’expression des vins séduit de nouveaux prescripteurs.

Cette diversité de profils amorce une mutation de la notoriété. Les critiques internationaux – de James Suckling à – valorisent, chaque année, des cuvées issues de Côtes de Bordeaux atteignant ou dépassant les 90/100.

De la reconnaissance locale à l’export : chiffres, tendances, réalités

Si le marché français absorbe encore 55 % des ventes des Côtes (chiffre 2022, CIVB), ces appellations voient leur notoriété s’étendre hors de nos frontières, notamment sur les marchés allemands, belges, britanniques et chinois. Avec 45 % des volumes écoulés à l’export, les Côtes ambitionnent clairement une visibilité comparable à d’autres AOC majeures, même si les Médoc et Sauternes restent loin devant (près de 60 % des volumes exportés pour Pauillac, source Business France).

  • Fait marquant : En 2022, les Côtes de Bordeaux ont franchi la barre des 200 millions de bouteilles produites, soit près de 15 % de la production bordelaise totale (source CIVB).
  • Prix moyen export 2022 : 3,30 €/bouteille pour les Côtes contre 5,80 € pour le Médoc (source Customs France, 2023), mais une progression de 15 % sur cinq ans pour les Côtes, la plus forte hausse du Bordelais dans cette période.

La distribution en quête d’image : circuits auteurs contre grandes maisons

Alors que les crus classés dominent encore le réseau traditionnel des cavistes et la place de Bordeaux, les Côtes investissent massivement le numérique, la boutique directe et travaillent leur image sur les sites spécialisés. L’émergence de plateformes telles que Vivino permet, par exemple, à des propriétés moins connues d’accéder à un vaste public. Coup de projecteur, en 2023, sur le Château Puygueraud, figurant deux fois dans le top 10 des Côtes de Bordeaux les mieux notés sur Internet.

Des terroirs « sous le radar » désormais courtisés

Dans une époque marquée par la recherche d’authenticité et la vigilance au prix, l’amateur éclairé se détourne parfois des célèbres faîtes médocaines pour explorer les pentes moins médiatisées des Côtes. À Francs, le grès offre des rouges racés et un brin sauvages ; à Castillon, certains calcaires à astéries font rêver les œnologues qui y voient un écho des plus beaux plateaux de Saint-Émilion.

  • Focus « micro-climats » : La richesse géologique de Castillon (plus de six types de sols recensés sur 2 300 ha, source INAO) favorise des expressions singulières qui séduisent un public en quête de différences.
  • Chiffre remarquable : Plus de 350 propriétés des Côtes ont intégré une conversion à l’agriculture biologique ou en biodynamie depuis 2018, soit l’un des taux de mutation les plus rapides du vignoble français.

Nouvelle stratégie collective : mutualisation et communication ciblée

Au-delà des projets individuels, la force des Côtes réside désormais dans leur capacité à fédérer. L’Union des Côtes de Bordeaux, fondée à l’occasion de la création de l’AOC plurielle en 2009, a déployé une campagne de valorisation ambitieuse soutenue par la région Nouvelle-Aquitaine. Visuels contemporains, portraits de vignerons, storytelling accessible, déclinaisons sur les réseaux sociaux : l’approche contraste avec la réserve traditionnelle des terroirs plus anciens. L’objectif ? Réaffirmer l’image de vins abordables, conviviaux, mais dignes de gastronomie et de garde.

  • Campagnes « Les Côtes, en haut de l’affiche » vues par plus de 12 millions de personnes en 2022 (Union des Côtes de Bordeaux).
  • Partenariats avec des événements parisiens et bruxellois, touchant un public jeune – 60 % des consommateurs français de Côtes ont moins de 45 ans (SOWINE/SSI 2023).

Regards d’experts : la presse et l’indice de perception internationale

Le magazine a récemment mis à l’honneur, à plusieurs reprises, des crus de Blaye et de Castillon, attribuant à certains millésimes (2016, 2019) des notes frôlant 92-94/100 : pour le Bordelais, ce n’est plus un fait divers. Parallèlement, l’indice international Wine Intelligence positionne les Côtes parmi les « rising stars » de Bordeaux pour les marchés du Royaume-Uni, de Belgique et du Canada.

Vers une recomposition du goût bordelais ? Réflexions et pistes d’avenir

Si les Côtes de Bordeaux ne détrôneront pas, à court terme, les statuts mythiques attachés à certains crus classés, leur montée en puissance illustre un changement de paradigme dans la hiérarchie affective et gustative des amateurs. Cette notoriété plus douce, moins tonitruante, répond à une exigence nouvelle : celle d’une accessibilité, d’une émotion immédiate autant que d’un potentiel de surprise. Pour preuve, la vente aux enchères Sotheby’s Wine (2023) à Londres : pour la première fois, un lot de Côtes de Bordeaux (Castillon et Blaye) y figure aux côtés de Pomerol et Pauillac, suscitant l’intérêt des collectionneurs avisés.

  • Chiffre clé : Le nombre de citations dans les revues et guides de vins a doublé pour les Côtes en cinq ans, passant de 320 à 670 références annuelles (source BIVB, Baromètre 2023).

Ce déplacement des projecteurs, allié à une presse internationale désormais alerte, laisse présager un avenir où le panorama bordelais se dessine dans une pluralité renouvelée. Les Côtes de Bordeaux pourraient bien incarner, demain, l’expression la plus sincère et la plus contemporaine d’un Grand Bordeaux en mouvement.

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