Côtes de Bordeaux : l’éveil du palais bordelais

7 octobre 2025

Les Côtes de Bordeaux : une mosaïque historique et géographique

Les Côtes de Bordeaux ne sont pas une dénomination unifiée dès l’origine, mais la rencontre récente (2009) de plusieurs vignobles historiques. Leur pluralité est leur force – elle déploie toute la palette des paysages viticoles du bordelais tout en rassemblant 12 % de la surface totale du Bordelais (soit plus de 12 000 hectares, Planète Bordeaux).

  • Blaye Côtes de Bordeaux : Dominées par des coteaux surplombant l’estuaire de la Gironde, c’est l’un des plus anciens vignobles de la région, favorisé dès l’époque romaine.
  • Castillon Côtes de Bordeaux : En prolongement naturel de l’appellation Saint-Émilion, ces terres vallonnées révèlent des vins d'une grande fraîcheur minérale.
  • Cadillac Côtes de Bordeaux : Enclavée sur la rive droite de la Garonne, elle a bâti sa réputation sur la souplesse de ses rouges et sa capacité à produire aussi des liquoreux délicats.
  • Francs Côtes de Bordeaux : Moins étendue (environ 500 ha), mais recherchée pour ses micro-cuvées confidentielles à forte personnalité.

Toutes partagent une exposition privilégiée sur des coteaux, un atout majeur qui favorise la maturité, l’équilibre et le charme du fruit, signatures des vins des Côtes depuis longtemps. Loin des plateaux médiatisés, les côtes ont pourtant été le cœur historique du vignoble bordelais, avant que le commerce international ne redessine la carte du prestige au XIX° siècle (voir Blaye Côtes de Bordeaux).

Un tremplin idéal pour l’apprentissage sensoriel

Aborder Bordeaux par ses Côtes, c'est découvrir la complexité régionale sans être intimidé par le prestige ou les prix. Ici, la diversité des styles permet une véritable initiation sensitive :

  • Des rouges charmeurs et francs : Majoritairement composés de merlot (en moyenne 70 % selon l’ODG), agrémentés de cabernet franc et cabernet-sauvignon, ils livrent des expressions fruitées, pulpeuses, avec des tannins soyeux plus accessibles que dans certains crus prestigieux du Médoc ou de Pessac-Léognan.
  • Plusieurs expressions de blanc : Notamment à Blaye et Francs, où sémillon et sauvignon blanc offrent des vins frais, vifs, dotés d’une élégante minéralité.
  • Des styles confidentiels et liquoreux : Cadillac, par exemple, abrite de superbes vins doux issus de vendanges tardives ou de la fameuse pourriture noble (Botrytis cinerea).

C’est la possibilité de goûter la palette bordelaise sans entrer de plain-pied dans les caves grandioses à l’histoire millénaire, mais parfois intimidantes, du Médoc ou de Saint-Émilion. Les dégustations y sont le plus souvent abordables (compter entre 7 et 25 € la bouteille en propriété, contre une moyenne de 38 € en AOC Saint-Émilion – source : La Revue du Vin de France, 2023), et la reconnaissance des styles permet de véritablement s’initier et progresser à petits pas.

L’inventivité des domaines, le retour au vigneron

Les Côtes de Bordeaux doivent aussi leur attrait à une énergie renouvelée portée par une nouvelle génération de vignerons. Le tissu des propriétés est dominé par des exploitations familiales (la taille moyenne d’un domaine est de 14 hectares, là où un cru classé médocain tutoie souvent les 60 ha), résolument attachées à l’expression du terroir et aux expérimentations.

Portraits de domaines

  • Château du Champ des Treilles (Sainte-Foy Côtes de Bordeaux) Corinne et Jean-Michel Comme (anciens du prestigieux Pontet-Canet) ont fait de leur domaine un pionnier de la biodynamie en côtes de Bordeaux. Leurs vins blancs, salués par Decanter, conjuguent élégance, tension et profondeur.
  • Château Puygueraud (Francs Côtes de Bordeaux) La famille Thienpont, également propriétaire du célèbre Vieux Château Certan à Pomerol, propose ici – pour moins de 20 € – l’intelligence aromatique de Bordeaux, en conjuguant tradition et éclat moderne.
  • Château Peybonhomme-les-Tours (Blaye Côtes de Bordeaux) La famille Hubert a transformé cette propriété en un modèle de viticulture biodynamique et d’accueil oenotouristique, tout en assurant une production régulière de rouges charmeurs aux accents épicés.
  • Château de Pressac (Castillon Côtes de Bordeaux, AOC jusqu’en 2000) Orfèvre du malbec (ou côt), le domaine a longtemps incarné la diversité des cépages en côtes – preuve que l’identité de ces vins fait la part belle à l’expressivité.

Cette diversité de profils fait écho à une grande liberté de style : l’œnologie d’auteur y est plus présente, avec une proportion importante de vins bio ou en conversion (près de 25 % selon la Fédération des Côtes de Bordeaux), qu’ailleurs dans la région.

Le rapport qualité-prix, grand ambassadeur des Côtes

Le prix des icones bordelaises ayant flambé ces vingt dernières années (la Côte de 1855 double quasiment toutes les décennies : le prix moyen d’un Grand Cru Classé du Médoc dépasse aujourd'hui 85 € en primeur – source : La RVF), les Côtes apparaissent comme un havre pour l’amateur éclairé.

  • Plus de 80 % des propriétés commercialisent des bouteilles en-dessous de 15 €.
  • Des vins à maturité plus rapide, donc abordables dès leur jeunesse.
  • Des crus récompensés internationalement (Concours de Bordeaux, Decanter World Wine Awards) pour des rapports prix/plaisir rarement égalés dans le Bordelais.

Derrière ces étiquettes se tisse un lien authentique : une poignée de main possible avec le vigneron, la chance de participer à une balade de printemps dans les vignes (BeBlaye Festival ou Un Dimanche à la Campagne en Castillon), loin des files d’attente ou du décorum des crus iconiques.

Les terroirs en mouvement : innovation, climat, authenticité

Les Côtes s’affirment aussi comme un laboratoire vivant pour l’adaptation au changement climatique. Les vignobles sont souvent en altitude relative (Blaye et Francs culminent à plus de 80 mètres), offrent des terroirs argilo-calcaires variés, des expositions multiples – autant de microclimats testés par de jeunes vignerons qui introduisent de nouveaux cépages, pratiquent l’agroécologie ou développent la vinification sans souffre.

  • Introduction du malbec, du petit verdot ou même d’anciens cépages oubliés pour compléter le classicisme du merlot.
  • Expérimentations sur la gestion des couverts végétaux, la biodynamie, l’enherbement intégral pour protéger les sols et les nappes phréatiques.
  • Utilisation de jarres en grès, d’amphores, de vinification en cuves béton ou tronconiques pour affiner les textures et offrir des profils inédits.

Les Côtes se dévoilent ainsi dans un dialogue constant entre tradition et innovation. Certains domaines, tel le Château Feely à Saussignac, se sont même fait remarquer à l’international pour leurs démarches pionnières de permaculture et d’agrotourisme, créant des ponts entre vin, nature, et culture locale (Wine Family Feely).

Explorer les Côtes de Bordeaux, pratique

  • Oenotourisme facilité : Plus de 200 propriétés accueillent chaque année des visiteurs. Réservations la plupart du temps simples, visites individuelles possibles, nombreux parcours "vélo-vigne" autour de Blaye, Castillon ou sur la Route des Vins de l’Entre-Deux-Mers.
  • Événements grand public : Les Portes Ouvertes Blaye Côtes de Bordeaux (avril) rassemblent chaque année plus de 15 000 amateurs. Castillon accueille La Bataille, une reconstitution historique de la guerre de Cent Ans, mêlée à une grande fête du vin.
  • Accès depuis Bordeaux : Moins d’une heure de route depuis la métropole, accès direct en train ou bateau vers Blaye et Bourg.

Les Côtes proposent ainsi un parcours initiatique sans frontières ni barrières, où le goût se fait guide et la découverte, évidence.

Perspectives : la promesse d’un renouveau bordelais

La plus grande vertu des Côtes de Bordeaux est de ramener Bordeaux à hauteur d’homme. En assumant une diversité authentique, en misant sur la sincérité, l’accueil et la transmission plutôt que sur le prestige pur, elles tracent le sillon d’une nouvelle relation à la grande région bordelaise. Les grandes histoires des prochaines décennies s’écriront sans doute là : à l’ombre des élans de coteaux, dans la main ferme mais ouverte des vignerons, et à travers les verres de ceux qui veulent goûter la vraie modernité bordelaise.

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